« C’est tout simplement du
chantage. » Pour décrire les pratiques d’Enedis,
madame Ardouin ne mâche pas ses mots. Dans
l’appartement qu’elle met en location à Libourne,
elle refuse d’installer un compteur Linky. En
retour, Enedis refuse de lui remettre l’électricité.
En janvier 2020, son locataire
quitte les lieux. La mairie demande alors quelques
travaux de réfection, ce que madame Ardouin
s’empresse de faire. En septembre : surprise !
L’électricité est coupée sans le moindre
avertissement. Elle contacte donc Enedis, demande de
basculer le compteur à son nom pour retrouver le
courant, finaliser les travaux et relouer. La
réponse est immédiate :
« D’accord pour vous remettre
l’électricité, si et seulement si on vous pose un
Linky ».
Madame Ardouin s’y refuse :
« Mon compteur est parfaitement
fonctionnel ! Je ne veux pas de Linky à la
place ».
Faute de courant, l’état de
l’appartement se dégrade :
« On ne peut pas remettre la
chaudière pour essayer de sécher l’intérieur, il y
a de la condensation, de l’eau sur les murs… on ne
peut pas non plus refaire les peintures. »
Les rendez-vous planifiés avec
Enedis ont tous été annulés, puisqu’ils signifiaient
automatiquement la pose d’un Linky.
« Je tiens à mes convictions. Je
ne les laisse pas entrer dans l’appartement ».
« On
est pris en otage »
Le cas de madame Ardouin n’est pas
isolé. Madame Winter et madame Pons, toutes deux
dans le Sud-Gironde, ont eu le même problème :
Enedis cherchait à leur imposer un Linky pour
qu’elles retrouvent le courant.
Madame Pons a toutefois
« l’avantage » d’avoir le compteur à l’intérieur de
son appartement, « ils n’ont pas pu installer le
compteur ». Sa maison est divisée en deux, car une
partie est en location : ce sont donc deux contrats
différents.
« Du côté d’Engie, ils ont voulu
m’imposer un Linky. J’ai appelé EDF, qui m’a
assuré que ce n’était absolument pas obligatoire.
Cela dépend vraiment de la personne sur qui on
tombe. »
La situation de madame Winter est
tout à fait semblable.
« Ma famille va emménager dans
une maison de 1982, alors on a fait remettre les
tableaux aux normes. »
Le 22 décembre 2020, un
sous-traitant mandaté par Enedis vient lui remettre
l’électricité. Sur le compteur, elle avait collé des
autocollants anti-Linky. Le refus de l’employé est
immédiat.
« Il m’a soutenu que le Linky
était obligatoire, je lui ai dit que non. Il m’a
expliqué la consigne d’Enedis : “Pas de Linky, pas
d’électricité.” Il a fait un rapport et il est
reparti sans mettre le courant. »
Elle se retrouve avec le même
problème que madame Ardouin : sans électricité,
impossible de faire les travaux d’aménagement de la
maison. Madame Winter multiplie les appels, avec à
chaque fois un nouvel interlocuteur et une nouvelle
réclamation, mais en vain. « On est pris en otage. »
Stéphane Lhomme devant le
tribunal administratif de Bordeaux (XR/Rue89 Bordeaux)
Héraut
des compteurs
Elle contacte donc Stéphane
Lhomme, animateur du mouvement d’opposition aux
compteurs communicants. C’est lui qui va
l’aiguiller sur la démarche à suivre, tout comme il
guide d’autres familles ou particuliers voulant
refuser le Linky.
« Il y a cinq ans, j’étais
conseiller municipal à Saint-Macaire,
explique-t-il. Il y a eu une demande GRDF
d’installer une antenne pour Gazpar, leur nouveau
compteur communicant. On a pris position contre
ces compteurs et depuis, je suis devenu le
spécialiste, un peu de force. J’ai mis le petit
doigt dans la machine et ça m’a happé tout
entier. »
Stéphane Lhomme alimente un site contre ce type
de compteurs, et multipliait, avant le coronavirus,
les conférences sur la question. Il est
régulièrement contacté par des usagers en manque de
réponses :
« J’ai des appels tous les
jours, 10, 15 ! Enedis profite de l’ignorance des
gens ».
Auprès de madame Ardouin et de
madame Winter comme auprès des autres particuliers
qui le contactent, il insiste : le compteur n’est
pas obligatoire.
« Quand le compteur est dans le
logement, il suffit de ne pas laisser entrer le
technicien. Mais quand il est dehors, c’est plus
compliqué, détaille-t-il. Les installateurs sont
des boîtes privées recrutées par Enedis. Ils sont
sans état d’âme puisqu’ils fonctionnent au
chiffre, donc ils font peur aux gens avec des
fausses informations. »
Il propose donc de barricader
l’accès au compteur, puisque les installateurs n’ont
théoriquement pas le droit de briser les chaînes,
cadenas et autres protections mises en place par les
particuliers. Une « solution » toutefois
déconseillée par les pompiers : en cas d’incendie,
accéder au compteur pour couper l’électricité sera
beaucoup plus long.
Une
pose qui s’impose
Mais justement, qu’en dit Enedis ?
Contactée, l’entreprise réaffirme dans un premier
temps que « la pose du Linky est obligatoire » :
« Nous ne sommes que le
maître-d’œuvre d’une décision européenne et
gouvernementale. C’est une obligation d’avoir des
nouveaux compteurs pour accompagner la transition
énergétique. Certains coûts sont fortement
réduits, comme celui de la mise en service, divisé
par deux. »
Quand l’entreprise détaille le
processus d’installation d’un compteur Linky
surgissent les premières différences entre la
théorie et la pratique. Normalement, d’après Enedis,
un courrier est envoyé aux habitants 45 jours avant
le déploiement du Linky dans leur zone. Dans la
pratique, de nombreux particuliers n’en voient
jamais la couleur.
Si le compteur est à l’extérieur,
ce courrier permet au client d’appeler Enedis, et de
convenir d’un rendez-vous :
« Nous ne sommes toutefois pas
obligés d’avoir le client présent. Mais dans tous
les cas, le technicien est censé prévenir une fois
qu’il est sur place. »
Un technicien D’Enedis
installe un compteur Linky (WS/Rue89 Bordeaux)
« Censé » : la plupart du temps,
cette consigne n’est pas appliquée. Certaines
familles se retrouvent ainsi avec un compteur Linky
flambant neuf sans avoir été averties, ni même avoir
vu l’ombre d’un technicien.
La procédure est d’ailleurs très
avancée, indique l’entreprise : en Gironde, 78,5%
des foyers sont équipés de compteurs communicants
Linky (76,5% en Nouvelle-Aquitaine, soit 2,8
millions de foyers), et le déploiement est prévu
jusqu’à la fin 2021.
« Le remplacement des compteurs
se passe très bien dans la très grande majorité
des cas et l’acceptabilité locale du compteur se
renforce, avec des réalisations concrètes par la
preuve des apports de Linky comme les demandes
d’ouvertures de compte client, en progression
constante, pour le suivi et la maitrise de leur
consommation, le Corrèze Resilient Grid qui
est rentré en service fin 2020, ou encore le
premier site d’autoconsommation
collective lancé à Bordeaux avec Gironde Habitat en
2018. »
« On
ne va pas laisser quelqu’un sans électricité »
Selon Enedis, « s’il y a des trous
dans la raquette, cela reste mineur. Nous faisons
tout pour améliorer ce processus d’accompagnement,
mais nous sommes dans l’obligation d’installer le
compteur ». Quid du « chantage au Linky » ? Face aux
différents témoignages, Enedis évoque des « cas
particuliers » :
« Evidemment, notre priorité est
d’installer l’électricité à tous nos clients, nous
fait savoir l’entreprise. On ne va pas laisser
quelqu’un sans électricité, encore plus quand il
fait 2°C dehors. Le but n’est pas de punir un
client parce qu’il ne veut pas un Linky. Quand on
sent que le dialogue n’aboutit à rien à l’instant
T, on réalimente. Ça ne veut pas dire que nous
arrêtons le dialogue. »
Cela signifie donc bien qu’Enedis
n’a aucune raison de refuser le retour du courant
chez les particuliers concernés (ni même d’ailleurs
de leur imposer un Linky). La suite de la réponse de
l’entreprise va d’ailleurs dans ce sens :
« Nous n’imposons rien au
client,nous somme dans le dialogue. La toute
première mission d’Enedis est de distribuer
l’électricité, encore plus dans une période comme
aujourd’hui. Fournir l’électricité à tous,
compteur Linky ou pas. »
En cas de conflit trop important,
Enedis recommande l’assistance du médiateur de
l’énergie.
« On n’est pas obligés d’aller
jusqu’aux tribunaux. Il y a un numéro vert (0 800
054 659), une cellule d’écoute, des équipes
dédiées à cette transition ».
Brèche
ou fausse victoire ?
Justement, certains particuliers
sont allés devant la justice pour protester contre
la pose du Linky. Plusieurs procédures sont
d’ailleurs en cours. Certains plaignants – 13 sur
206 – ont obtenu gain de cause
devant la cour d’appel de Bordeaux, qui a
confirmé en novembre 2020 un jugement du tribunal de
grande instance de Bordeaux.
Mais là encore, Enedis parle de
« cas particuliers », des personnes électrosensibles
en l’occurrence. Stéphane Lhomme, lui, parle
carrément de « fausse victoire » :
« La quasi-totalité des
plaignants a perdu. Pour les personnes
électrosensibles, il y a juste l’obligation de
mettre un filtre censé atténuer les ondes. Mais ça
ne remet pas du tout en cause le fait qu’Enedis
mette en place un compteur communicant. »
Le militant incite donc les
particuliers concernés à « empêcher la pose du
Linky. Il ne faut pas attendre que le miracle vienne
d’une lettre recommandée ni d’une procédure en
justice ».
Avocat dans l’une des affaires,
Christophe Lèguevaque estimait lui que le jugement
de la Cour d’appel de Bordeaux pouvait ouvrir une
brèche, selon des propos rapports par le site Actu
Environnement :
« Chaque consommateur, même
non-victime des ondes, voit sa position renforcée contre
Enedis, puisque la Cour écrit, noir sur blanc,
qu’aucun texte réglementaire ou légal, national ou
européen, ne lui impose l’installation de
compteurs de type Linky. »
De son côté, madame Winter a
retrouvé l’électricité. Un technicien est venu lui
remettre le courant, sans changer son ancien
compteur pour un Linky. Elle qui a « téléphoné
toutes les semaines, tapé un peu partout pour
alerter » a finalement obtenu gain de cause. Une
victoire qui pourrait servir d’exemple aux autres
familles concernées.
Source : par Stéphane Lhome dans Rue89Bordeaux - 3 février 2021